La mort n'est pas un phénomène aussi rapide ni aussi synchrone qu'on le pensait. La question des dons d'organes risque de s'en trouver affectée.
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Les chercheurs de Yale ont en effet pu constater que, au bout de quatre heures d'anoxie - le laps de temps écoulé entre la décapitation des cochons et la re-irrigation de leur cerveau par ce système de perfusion de sang artificiel -, le système vasculaire cérébral s'est remis à pulser normalement. Parallèlement, l'imagerie cérébrale a montré que certains circuits neuronaux se remettaient à fonctionner, même si cette activité électrique est restée cantonnée à un niveau local.
Les cerveaux des pauvres cochons n'ont pas ressuscité pour autant.
Jusqu'en 1968, en effet, un individu était déclaré mort quand il ne respirait plus et que son cœur ne battait plus ; mais les progrès des respirateurs artificiels et de la réanimation cardiaque ont conduit à repréciser le moment de la mort : aujourd'hui, c'est l'état du cerveau qui sert d'ultime critère légal du décès.
« Des processus que l'on pensait irréversibles ont pu être 'réversés'. Il apparaît que la mort n'est pas un phénomène aussi rapide ni aussi synchrone qu'on le pensait. Tout ne meurt pas en même temps dans un organisme, ni même dans le seul cerveau. Cela soulève forcément des questions d'ordre éthique et juridique. »
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Si la mort est vieille comme le monde, la
thanatologie, science qui lui est dédiée, n'en est encore qu'à ses
balbutiements.
L'étude parue
dans la célèbre revue « Nature » le 17 avril dernier sous le titre «
Restauration de la circulation sanguine et des fonctions cellulaires du cerveau
plusieurs heures après la mort » est dans la veine :
macabre, terrifiante et fascinante.
Une équipe de scientifiques
américains emmenée par un certain Nenad Sestan, de l'université de Yale, se
rend dans un abattoir de New Haven, dans le Connecticut, pour y récupérer les
têtes d'une trentaine de jeunes cochons âgés de 6 à 8 mois et fraîchement
décapités. Ils rapportent les trente têtes dans leur laboratoire et là,
plusieurs heures après le dernier couinement, les « raccordent » à
une machine de leur invention ressemblant grosso modo à un appareil de dialyse.
Et que constatent-ils ? Que les cerveaux des malheureux cochons se sont
remis - partiellement - à fonctionner !
La machine en question s'appelle BrainEx et elle permet
de rétablir l'arrivée et la circulation d'oxygène dans un cerveau mort. Une
fonction éminemment vitale, puisque l'oxygène permet aux mitochondries, ces
centrales à énergie de nos cellules, de « brûler » la matière
organique pour produire de l'énergie sous forme d'adénosine triphosphate (ATP)
- un corps humain consomme et régénère chaque jour l'équivalent de son propre
poids en ATP.
Tout dépend donc in fine, dans le
cerveau comme dans les autres organes de l'organisme, de l'alimentation en
oxygène. Et le rôle de BrainEx consiste bien à prendre le relais du
système sanguin après l'anoxie. Pour ce faire, la machine injecte dans les cerveaux
des cochons décapités un substitut sanguin, à la température de 37°C.
L'expérience ne visait aucunement à « ressusciter » un cerveau mort,
objectif parfaitement inatteignable en l'état actuel de l'art (et qui le
restera peut-être toujours). Mais les résultats obtenus n'en sont pas moins
spectaculaires.
Les chercheurs de Yale ont en effet pu constater que, au bout de quatre heures d'anoxie - le laps de temps écoulé entre la décapitation des cochons et la re-irrigation de leur cerveau par ce système de perfusion de sang artificiel -, le système vasculaire cérébral s'est remis à pulser normalement. Parallèlement, l'imagerie cérébrale a montré que certains circuits neuronaux se remettaient à fonctionner, même si cette activité électrique est restée cantonnée à un niveau local.
A l'échelle cellulaire aussi, beaucoup des fonctions
que l'on pensait incompatibles avec la mort ont pu être récupérées grâce au
système de réoxygénation : celui-ci a non seulement permis
d'éviter en grande partie le processus de mort programmée connu sous le
nom d'apoptose mais aussi de diminuer très fortement les
réponses inflammatoires dues au dérèglement du système immunitaire. Dans les
circuits neuronaux qui se sont remis en route, les neurones sont redevenus normalement
excitables et ont recommencé de communiquer activement avec leur entourage…
Autant de résultats jugés impressionnants par les
neuroscientifiques. « Qu'une seule de ces différentes fonctions
ait pu être recouvrée est déjà extrêmement étonnant. Alors, cinq à la
fois… ».
Les comités
d'éthique impliqués dans cette expérience n'auraient peut-être pas donné leur
aval à cette expérience s'ils en avaient connu les résultats à l'avance.
Les cerveaux des pauvres cochons n'ont pas ressuscité pour autant.
Mais il faut savoir que, dans le cerveau, tous les neurones ne sont pas égaux
quant à leur fragilité face à un même stress.
Qu'il s'agisse de ceux du système
reptilien ou du système limbique, les neurones du cerveau profond, situés sous
le cortex, sont tout à la fois les plus archaïques - nous les partageons avec
les reptiles - et les plus résistants, parce que les moins gloutons en énergie.
Privés d'oxygène, ils peuvent réduire leur métabolisme et résister plus
longtemps.
Ce sont d'ailleurs eux qui ont repris du poil de la bête dans l'expérience de Yale.
A l'inverse, les interneurones, qui sont
l'apanage des mammifères et servent à interconnecter des zones éloignées du
cerveau, sont beaucoup plus énergivores et ce sont aussi les premiers à
flancher en cas de privation… Or, sans ces neurones plus évolués, situés dans
le cortex, il n'est pas de conscience possible.
« Il n'en reste pas moins que cette expérience, et le recouvrement
d'une activité électrique locale qu'elle a mis en lumière, devrait nous amener
à redéfinir la mort, comme cela a déjà été fait par le passé », estime Pierre-Marie Lledo.
Jusqu'en 1968, en effet, un individu était déclaré mort quand il ne respirait plus et que son cœur ne battait plus ; mais les progrès des respirateurs artificiels et de la réanimation cardiaque ont conduit à repréciser le moment de la mort : aujourd'hui, c'est l'état du cerveau qui sert d'ultime critère légal du décès.
« Des processus que l'on pensait irréversibles ont pu être 'réversés'. Il apparaît que la mort n'est pas un phénomène aussi rapide ni aussi synchrone qu'on le pensait. Tout ne meurt pas en même temps dans un organisme, ni même dans le seul cerveau. Cela soulève forcément des questions d'ordre éthique et juridique. »
Bienfaits et méfaits d'une expérience :
Pour la médecine, l'expérience choc de Nenad
Sestan a ses bons et ses mauvais côtés.
Pour les bons, il est clair qu'elle
ouvre d'intéressantes perspectives aux urgentistes se débattant pour maintenir
une personne en vie après un AVC. Encore faudra-t-il que la machine BrainEx,
utilisée sur des cochons (et, qui plus est, sur de jeunes cochons) soit
améliorée pour pouvoir être testée sur des primates non humains, avant de
pouvoir envisager toute expérimentation sur l'homme et, a fortiori, son utilisation
de routine en clinique.
Plus problématique sont ses conséquences possibles sur
les dons d'organes. Ceux-ci étant prélevés sur des personnes en état de mort
cérébrale, que va-t-il se passer maintenant que l'on sait que cette mort
cérébrale n'est peut-être pas aussi « irréversible », ni surtout
aussi complète, qu'on le pensait jusqu'à présent ? « Il se
trouvera forcément des associations pour arguer de cette expérience devant les
tribunaux ». A
l'heure du retour au premier plan de l'affaire Vincent Lambert et du prochain
passage devant le Parlement de la loi de bioéthique, le sujet est
particulièrement sensible.
La thanatologie, science naissante :
1800 : Dans
« Recherches physiologiques sur la vie et la mort », le médecin et
anatomo-pathologiste français Xavier Bichat définit la vie comme « l'ensemble
des fonctions qui résistent à la mort ». Mais qu'est-ce que la
mort ?
1903 : Le
bactériologiste et immunologiste russe Ilya Ilitch Metchnikov (prix Nobel de
médecine 1908) propose la naissance d'un nouveau domaine de recherche :
la thanatologie, ou étude de la mort.
1972 : En
observant des tissus par microscopie électronique, les pathologistes John Kerr,
Andrew Wyllie et Alastair Currie découvrent le mécanisme de l'apoptose,
ou mort programmée des cellules.
2002 : Les
biologistes Sydney Brenner, Robert Horvitz et John Sulston se partagent le prix
Nobel pour avoir identifié les gènes contrôlant l'apoptose.
2018 : Une étude
conduite par Jens Dreier, professeur de neurologie à l'université La Charité de
Berlin, et parue dans les « Annals of Neurology », permet pour la
première fois de visualiser la « vague de dépolarisation » qui
embrase le cerveau d'un mourant au moment fatidique.